Berliet, la marque française de camion partage une grande partie de son histoire avec l'Algérie, pas uniquement avec son usine implantée à Rouïba (Algérie), mais beaucoup plus :
Marius Berliet construit son premier moteur monocylindre en 1894 et sa première voiture en 1895 dans un appentis de la maison familiale. Il crée en 1899 Automobiles Marius Berliet, communément appelé Berliet. Il fabrique alors des automobiles (jusqu'en 1939, et continuera exclusivement un constructeur de véhicules industriels).
Le 1er juillet 1905, American Locomotive Company (ALCO) qui souhaite se diversifier dans l'automobile choisit Berliet pour l'acquisition d'une licence de 3 ans pour la fabrication de trois modèles de voitures Berliet. Cette manne financière permettra à Berliet de ce lancer dans de nouveaux projets.
En 1906, Berliet commence donc à produire des camions et en envoie en Algérie pour des essais, ce qui se solde par un échec. Déçu, Marius Berliet veut effacer l'échec et par la même occasion prouver que ses camions à essence sont biens fiables. Il prépare un retour en Algérie avec une nouvelle ambition plus forte en organisant une traversée Nord - Sud, chose chose qui n'a pas été encore réalisée.
Il faut attendre 3 ans pour que ça se réalise, c'est donc en 1909 qu'un camion Berliet chargé de trois tonnes de fret relie pour la première fois Alger à Laghouat, un parcourt de 330 km. Un périple de dix jours pour faire l’aller retour, avec parfois l’appui de la population pour l’aider à avancer dans le sable au moyen de planches de bois glissées sous ses roues cerclées de fer. À Médéa, il parvient à gravir 12 km de côte à la vitesse de 9 km/heure. Aucun camion n’étant encore allé jusqu’à Laghouat, son arrivée est un événement qui favorise la notoriété du constructeur lyonnais.
1909 est aussi l'année où Berliet inaugure sa première succursale à Alger, une présence durable en Afrique et en 1912 Berliet ouvre une seconde succursale de Oran.
La 1 Guerre Mondiale éclate en 1914 et Berliet se concentre sur les véhicules militaire en Europe alors que son activité en Algérie est mise en pose.
Entre les deux guerres, les affaires reprennent et Marius Berliet centre ses efforts sur la mise en place d'un solide réseau de concessionnaires dotés de pièces de rechange et de moyens de réparation professionnels. L'Algérie représente une importante débouché pour les voitures et surtout les camions utilisés à la fois pour les transports de marchandises et pour les transports de personnes. Berliet démontre que des liaisons Nord Sud peuvent aboutir avec succès.
Berliet entreprend des traversées africaines
En 1926, Mission Sahara Niger, première traversée avec des véhicules à trois essieux, trois modèles Berliet VPD 6 × 4 effectuent avec succès la mission Alger - Gao avec 3 000 kg de fret et 22 passagers.
En 1932, c'est au tour de la mission Diesel au Sahara de faire la liaison Alger - Gao allé retour.
La Guerre Mondiale arrive à son deuxième acte, ce qui replonge Berliet dans ses activités militaires.
Rebelote en 1945, Berliet se retrouve avec des surplus, il fallait faire la démonstration des économies et des performances.
En 1950, Berliet sort le GLR8, un camion moderne qui doit être l'avant-garde de la marque, la marque alors veut montrer que ce camion est capable de parcourir des distances considérables et des chemins peu praticables en toute fiabilité et confort. Deux prototypes du GLR « colonial » sont construits et confiés à la Compagnie Saharienne Automobile dirigée par René Deviq à Touggourt en Algérie.
On reprend pour cela les anciennes recettes et organise une nouvelle expédition Alger Abidjan, un périple de 7500km.
Maurice Berliet était à bord pour constater la parfaite adaptation mécanique du véhicule à son usage. C’est ce matériel qui, doté de pneus larges, équipa progressivement toutes les unités de transport militaire au Sahara.
Grace à cela, Automobiles M. Berliet écoule 10 à 12% de sa production en Algérie et en 1953 une nouvelle succursale est construite à Oran. En 1955, à Alger, Berliet prend de l'expansion.
Usine Berliet à Alger
Tests des camions Berliet dans le désert algérien
En octobre 1959 c'est le départ de la mission Ténéré s’effectue d’Alger. Les véhicules quittent la succursale Berliet installée rue Hussein Dey le 6 mars 1959. M. Conty pilote la première Land Rover. M. Rogniez, qui n’en est pas à sa première mission saharienne, est au volant du GBC 8 M 6x6 frigo blanc.
Berliet prend son ampleur en Algérie et entre 1959 et 1960, sont édifiées deux nouvelles succursales, à Constantine et à Ouargla.
Avec un réseau riche de 35 concessionnaires, la pénétration de la marque atteint les 70%.
Un Géant pour la recherche pétrolière : Le T100 le plus grand camion du monde est construit
À partir de 1952, la France entame une nouvelle dynamique de la prospection pétrolière en Algérie, elle se modernise et les estimations sont prometteuses De nouveaux besoins se font sentir. En 1954, des gisements d'hydrocarbures sont découverts dans le Sahara algérien. Invité par le directeur de Shell à se rendre à El-Goléa (aujourd'hui El Menia) en fin d'année 1956, Paul Berliet « constate que les véhicules dont dispose la compagnie ne conviennent pas. Le directeur de Shell demande de lui proposer des matériels qui pourraient l'aider dans la prospection et l'exploitation. Transporté en avion de Timimoune jusqu'à leur base dans le Grand Erg occidental, Paul Berliet découvre les barkhanes, grandes dunes en forme de croissant, et les gigantesques travaux de voirie nécessaires à leur franchissement par les semi-remorques qui transportent le matériel de prospection pétrolière ».
Paul Berliet continue : « Quand j'ai vu les problèmes posés par les dunes au Sahara, j'ai décidé de faire le T100. Enfin on montrait ce que l'on savait faire : le plus gros camion du monde ! J'ai confié à André Billiez l'élaboration d'un engin capable de porter la charge de 50 tonnes dans les dunes sans qu'il soit nécessaire d'aménager une voie extrêmement onéreuse.
J'ai pris les plus gros pneumatiques disponibles à l'époque, choisi le moteur Cummins qui présentait le meilleur compromis entre puissance, légèreté et performances dans la gamme de puissance visée. Les 600 ch du premier moteur étaient insuffisants, et nous sommes passés à 700 ch mais une puissance de 1 000 ch aurait été souhaitable ».
Dessiné et fabriqué en 9 mois pour répondre aux besoins de transport des masses indivisibles de plus de 40 tonnes de la recherche pétrolière, le gigantesque T100 pouvait franchir les dunes du Grand Erg Oriental sans nécessiter l’aménagement d’une piste.
Le T100 n°1 a été présenté au Salon de l'automobile de Paris en octobre 1957 et le n°2 a été envoyé au Sahara, rejoint en décembre 1957 par le n° 1. Les deux T100 présents en Algérie sont restés dans le Gassitouil mais n'ont pas été utilisés très longtemps car très vite des gisements de gaz facilement accessibles ont été découverts par les Algériens qui se sont désintéressés du Grand Erg occidental. Pour étendre leurs recherches pétrolières après l'indépendance, les Algériens ont acquis des matériels américains.
Deux exemplaires furent employés au Sahara dans le Gassi-Touil. L’un a été conservé par les Algériens, l’autre fait partie de la collection de la Fondation Berliet après que l'Algérie leur en fait don en 1981.
Il fut construit 2 autres T100 mais avec toutes autres configuration et besoin : le T100 n°3 était un véhicule 6x4 équipé d'une benne Marel pour une utilisation dans les mines d'uranium du Limousin, et le T100 n°4 a été conçu pour le marché américain. Ces deux exemplaires n'existent plus.
Pneumatiques : « la pression du pied du dromadaire »
A sa sortie d’usine il était chaussé de pneus types « travaux publics ». A Partir de de janvier 1959, il est pourvu de pneus Michelin Tubeless « spécial sable » 37,5/33 XR de 2,20 m de diamètre pour près d’1m de large. Chaque pneu pèse plus de 950 kg mais compte moins de 1 kg/m² de pression au sol, soit 1 kg/cm² pour un poids total de 100 tonnes.
Bien que le PTC soit de 101 tonnes, les pneus sont calculés pour en supporter 120. Le résultat est mentionné dans un compte – rendu du 6 février 1959 : « … Là où l’homme à pied s’enfonce jusqu’aux genoux, la profondeur des traces des pneus du T100 est de 10 cm et il franchit des pentes dans le sable jusqu’à 20%… ».
La roue du T100 est plus haute qu’un homme de taille normale. Le poids à vide de ce camion est de 100 tonnes et sa vitesse maximum atteint 34 km/h. Sa hauteur est de 5 m de même que sa largeur, alors que sa longueur est de 15 mètres et était le plus grand camion au monde à l’époque de sa fabrication.
Berliet et l'intégration des algériens
Le 6 septembre 1954, soit deux mois avant le déclenchement de la guerre d'Algérie, le directeur de la succursale des usines Berliet à Alger adresse au siège une lettre sans illusions sur l'avenir de l'Algérie française. Il estime que, « malgré le calme apparent » qui règne en Algérie, tout est à craindre de l'évolution des populations musulmanes, et il invite la direction de Vénissieux à « très vite en tenir compte ». Remarquant que « la clientèle indigène, dont le pouvoir d'achat augmente régulièrement », représente « un pourcentage chaque jour plus fort » des ventes, il poursuit : « Nous devons donc nous organiser non seulement pour la prospecter de plus en plus, mais aussi pour nous faire comprendre d'elle et lui inspirer toute la confiance nécessaire. [...] Ces considérations nous amènent à prévoir dans un avenir très prochain, à la succursale d'Alger, un "Département relations musulmanes" qui [...] comprendrait un groupe de vendeurs musulmans (Arabes et Kabyles) instruits et éduqués (et il y en a !). »
Paul Berliet approuve la mesure. Dans une note au personnel, il écrit : « Il est évident que nous aurions personnellement à réagir contre les préjugés de nos collaborateurs européens si nous engagions un vendeur musulman qui pourrait éventuellement être plus instruit qu'eux » et qui n'obtiendrait pas de la part de ses collègues « la considération et l'impartialité auxquelles il aurait droit ».
Plus tard, le patron du groupe des poids lourds va même plus loin. Il installe sur place une unité de production d'où sortiront des camions que, par dérision, les concurrents vont baptiser « camions kabyles » : de fait, 80 % des salariés de l'usine sont musulmans.
« Nous ne croyons pas à l'avenir du mythe de l'exportation vers les pays sous-développés, déclarait un peu plus tard Paul Berliet, à l'occasion d'une conférence reproduite dans le journal d'entreprise Berliet Informations. L'Amérique avant nous en a fait la cruelle expérience. On ne continuera pas longtemps à acheter aux pauvres le minerai à des cours trop fluctuants, pour leur revendre des produits transformés dans lesquels nous aurons incorporé un standing de vie et des frais généraux élevés de gouvernement qu'ils ne peuvent et ne voudront pas payer. Pour ne pas tout perdre demain, il faut dès aujourd'hui, dans un effort pénible, leur apprendre à travailler, leur abandonner les travaux simples sur les éléments lourds et volumineux pour ne plus garder, au fur et à mesure qu'ils s'élèveront dans la technique, que les pièces compliquées justifiant des investissements considérables, et demain peut-être seulement la recherche, la conception et la mise au point. »
Ce langage s'inscrivait explicitement dans la préparation de l'indépendance algérienne. En effet, au moment où 49 % des Français se déclaraient encore partisans de l'Algérie française, Paul Berliet ne faisait pas mystère d'avoir négocié avec le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) les conditions ultérieures de fonctionnement de son usine. Plus tard, c'est à lui que la République populaire de Chine allait s'adresser pour équiper le pays d'une industrie de poids lourds. Un « tiersmondisme » bien compris, et un effort de prévision stratégique qu'il nous faut aujourd'hui rééditer, dans un tout autre contexte, aussi bien pour l'Indochine que pour l'Algérie.
Berliet entame une première implantation industrielle à Alger
En 1956, le pétrole jaillit au Sahara ! Des besoins croissants se manifestent en véhicules de tous genres. Poids moyens pour la prospection, poids lourds pour le transport du matériel de sondage, des tubes qui constitueront le « pipe line », citernes pour l’évacuation du premier pétrole… 130 Berliet sont acheminés vers l’Algérie cette année-là. L’année suivante ce chiffre montera à 250. Devant cette montée en flèche de la demande, devant aussi le désir exprimé par le Gouvernement de voir se développer l’industrialisation de l’Algérie, où la main d’œuvre locale ne manque pas, la grande firme lyonnaise prend la première l’initiative de se transporter en Afrique du Nord. La première chaîne de montage française du Continent voit le jour à Hussein-Dey, dans la banlieue algéroise. La production en est modeste : 2 poids lourds par jour. Cette cadence se révèle bientôt insuffisante, et Berliet passe à l'étape supérieur.
Le point culminant de Berliet en Algérie : son usine
Dès avant le Plan de Constantine, Paul Berliet décide de construire une Fondation de l'automobile Marius Berliet en Algérie. Différentes raisons sont à l'origine de cette position: réduire les frais de transport des véhicules en les assemblant sur place et considérer l'Algérie comme un trait d'union avec l'Afrique et donc une base d'expansion vers ce continent. Pour répondre à ces objectifs, Automobiles M. Berliet constitue une filiale en mai 1957: la Société Africaine des Automobiles M. Berliet, la S.A.D.A.B., plus connue sous le nom de Berliet-Algérie.
En juin 1957, à Rouïba, à 27km d'Alger, est édifiée une première tranche de bâtiments de 22000m2 et un an plus tard, le premier véhicule tombe de Fondation de l'automobile Marius Berliet.
En octobre 1959, la deuxième tranche est terminée et couvre 55000m2. Début 1960, l'effectif est de 500 personnes, dont 80% d'Algériens. L'incorporation progressive de pièces fabriquées sur place se développe de même que la formation d'une main-d'œuvre qualifiée. À la fin, 5000 camions ont été montés. La cadence est de 6 unités/jour, l'effectif de 900 personnes.
Après la signature des accords d'Évian, Automobiles M. Berliet continue d'envoyer des camions démontés de France pour un assemblage local, assurant un volant d'activité à l'usine de Rouïba et couvrant des commandes africaines ou françaises.
En 1967, l'État algérien crée la Société Nationale de Constructions Mécaniques: la SONACOME. Celle-ci a pour but de promouvoir l'industrie mécanique en Algérie et détient le monopole de l'importation de ces produits.
Dans le cadre du plan quadriennal 1970 - 1973 d'industrialisation, visant à mettre en œuvre une industrie autonome avec un taux élevé d'intégration locale, SONACOME signe avec Automobiles M. Berliet, en , un accord portant sur la réalisation d'un complexe de fabrication de véhicules industriels et d'autobus à Rouïba, sur un contrat de licence et d'assistance technique et sur la cession de l'ensemble des installations de Berliet: en bref, la fourniture d'une usine "produits en mains". Un centre de formation spécifique est mis en place en Algérie en 1971: il formera 5000 personnes comprenant des ouvriers spécialisés, des ouvriers professionnels, des employés, des techniciens, des agents de maîtrise, des ingénieurs et cadres. La durée moyenne de formation est de 8 mois en France et de 10 mois en Algérie.
En novembre 1974, c'est le véritable début de la phase d'intégration avec les pièces mécaniques et le premier camion réalisé à Rouïba.
Les unités de montage sont passées de 1540 véhicules en 1968 à 7000 en 1974, tandis que les équipements de tôlerie, emboutissage, forges commencent à être opérationnels. 3250 salariés travaillent à Rouïba, dont 250 personnes venant d'Automobiles M. Berliet en qualité d'assistance technique. Cette équipe locale est assurée de l'aide de 500 techniciens et ingénieurs qui fournissent, depuis Vénissieux, le soutien nécessaire à leurs collègues algériens. Cette association a également pour conséquence un effet de levier provoqué par Berliet qui entraîne ses fournisseurs et sous-traitants de Rhône-Alpes vers l'Algérie.
En 1977, la production des véhicules industriels va être doublée grâce à l'extension du complexe industriel de Rouiba, construit en 1971 avec la collaboration technique de Berliet. L'usine, qui fabrique actuellement 4.300 camions de cinq à trente tonnes et 250 autobus, portera ces chiffres à 8.000 et à 1.000 unités par an.
Pendant ce temps, Berliet devient filiale de la Régie Nationale des Usines Renault en décembre 1974, fusionne en 1978 avec SAVIEM (Société anonyme de véhicules industriels et d'équipements mécaniques), et prend le nom de « Renault Véhicules Industriels » (RVI) en 1978. Les deux marques disparaissent au profit de Renault en 1981.
Si l'histoire de Berliet a pris fin ainsi, il en demeure pas moi que ADN de Berliet continue a subsister en Algérie à travers des modèles produits dans cette usine et dont la genèse remonte au temps de Berliet.
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