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L'histoire de Renault en Algérie

Renault fait sa première présence en Algérie en 1922 avec la création de la S.A.D.A.R. (Société Algérienne des Automobiles Renault) qui était chargée de diffuser les véhicules de la marque au Losange. La conquête du marché algérien est timide pour Renault contrairement à son concurrent Citroën qui adopte une politique de conquête du marché extérieur alors que Renault reste concentré sur son marché intérieur. La crise économique de 1930 va changer les donnes, et Renault change de stratégie, elle veut vendre en Algérie, mais elle a déjà pris un grand retard commercial face son concurrent du quai de Javel qui multiplie les actions marketing avec notamment ses missions et croisières (nous y reviendront dans un prochain article).


Pour marquer un point supplémentaire sur Citroën, mais aussi pour pallier des difficultés logistiques, la direction commerciale de Renault s’interroge sur la possibilité d’installer une usine de montage en Algérie. Une étude de faisabilité est alors engagée, mais elle ressemble à une page de géographie coloniale. Reconnaissant le manque d’infrastructures routières, ferroviaires et maritimes entre Alger, Bône et Oran, l’étude conclut que « s’il devait y avoir une usine de montage en Algérie, elle aurait intérêt à être située à Marseille ». La Libération change la donne : le président de la nouvelle régie nationale des usines Renault, Pierre Lefaucheux, est convaincu que le développement économique doit aider les colonies à gagner leur indépendance. Un vrai pavé dans la marre au moment où les gouvernements réaffirment les fondements de l’Algérie française.


En 1951, Renault qui apporte un soutien appuyé aux colonies projette de construire cinq usines dans les états associés de l’Union française, toutes financées sur des fonds publics. Les sites choisis sont Casablanca, Alger, Tunis, Beyrouth et Saïgon. Affolés, les pouvoirs publics refusent de soutenir des projets jugés « plus politiques qu’économiques ». Lefaucheux s’engage alors dans l’une de ces grandes batailles qui marquent sa présidence. Malgré l’hostilité de Paris, il obtient l’aide du Gouvernement général d’Algérie et de la filiale commerciale de Renault. De quoi relancer le projet d’une usine près d’Alger, dans le quartier de Maison Carrée. Le projet prévoit une capacité de 35 voitures-jour avec 300 ouvriers. Inflexible, Paris met son veto, refusant toute initiative d’une régie nationale qui affiche bien trop d’autonomie : « la régie Renault serait bien inspirée de rester dans son seul rôle de constructeur d’automobiles ». Il faut attendre décembre 1954 pour que l’étude d’une usine à Alger reprenne. Les idées de Pierre Lefaucheux ont mûri : convaincu de la nécessité d’une émancipation de l’Algérie, Pierre Lefaucheux souhaite que l’usine d’Alger soit construite grâce à « une part importante de capitaux algériens qui devraient être des capitaux musulmans ». Lui et ses proches regrettent cependant« les attitudes des Algériens aisés qui sont pires que celles des colons que nous ne voulons pas ». La mort de Lefaucheux en février 1955 ralentit évidemment les choses, même si son équipe de direction (qui reste en place) et son successeur (Pierre Dreyfus) sont décidés à respecter les engagements du premier président de la Régie. « N’oublions pas, rappelle Fernand Picard, directeur des Études et proche de Lefaucheux, que dans l’esprit de Pierre Lefaucheux, l’un des buts de l’opération était de donner une usine à une population. C’était vraiment l’obole patriotique pour sauver l’Algérie ».

L’annonce du Plan de Constantine (1958) qui lance enfin l’industrialisation de l’Algérie, pouce les choses, et ainsi, le 19 novembre 1959 la première pierre de l'usine C.A.R.A.L. (Construction des Automobiles Renault en Algérie) est posée à Maison Carrée (Alger) par Pierre Dreyfus PDG de Renault. Il a précisé à cette occasion que la Régie entendait maintenir sa première place en Algérie. " En 1958 a-t-il déclaré, nous y avons dépassé la livraison de mille véhicules par mois contre six cent quatre-vingts pour toute l'année 1938. L'an dernier la Régie a vendu treize mille véhicules en Algérie, couvrant 31,2 % de ce marché. Pour les neuf premiers mois de 1959 nous enregistrons une augmentation de 30 % sur 1958. ". Le projet CARAL coûte 13 millions de francs, dont 9 sont couverts par l’emprunt.



Le 6 février 1961, la première Dauphine made in Algeria sort de l'usine avec une production de prêt de 50 unités jour. C’est « une date qui marquera l’histoire » écrit une presse locale qui relate l’événement avec beaucoup d’enthousiasme.

Renault propose à Peugeot de le rejoindre à Maison Carrée, mais la firme sochalienne refuse poliment, après avoir bien analysé la situation :« On peut avoir une usine en Algérie pour une somme dérisoire grâce aux subventions. Mais les conditions de sécurité et de qualité ne sont pas réunies ». Renault travaille donc seul. Mais les menaces de l’Armée Secrète (O.A.S.) envers les ouvriers musulmans poussent ceux la à ne plus venir à l’usine. Le transport des caisses CKD, partant du port d’Alger vers l’usine, devient impossible à assurer. L’O.A.S. menace de plastiquer l’usine Renault et l'usine ferme durant cette période de fin de guerre d'Algérie.




Après l’indépendance, le jeune gouvernement algérien va négocier les conditions d’exploitation de la CARAL, celle-ci devenant Renault-Algérie et passant sous la tutelle d’une société d’État, la SONACOME. À partir de 1962, l’usine Renault sera exonérée de tout droit d’importation, et protégée par un monopole. L’économie planifiée ne prévoit aucune usine concurrente, et les importations de voitures (sauf celles venant des Algériens rentrant au pays) seront lourdement taxées. L’usine peut donc démarrer dans la clémence de l’économie planifiée, et grandir posément. Elle le fait au rythme des accords signés avec le gouvernement : 12, 17, 20 puis 24 voitures par jour, avec l’objectif d’atteindre au plus vite les 25, soit le point d’équilibre de l’affaire. De nouveaux modèles sont introduits, comme les R4 et R8, mais également des utilitaires de la SAVIEM et du matériel agricole venu de l’usine du Mans.


Les premières tensions commence en 1965

Après le coup d'état de Boumediene qui devient le nouveau maître de l'Algérie. Le premier constat est : « qu'une entreprise privée extérieure ne peut conserver le monopole qui lui est offert aujourd’hui ». Il faut attendre quelques mois, et les négociations en vue du développement de la CARAL pour mesurer les changements. Si la Régie continue de solliciter l’aide financière de l’État algérien, les ministères estiment que c’est à Renault de financer la CARAL en puisant dans ses avoirs bloqués. La non-convertibilité du dinar contraint en effet la Régie à ne pas rapatrier son argent en France ou plus sûrement dans ses filiales suisses. En 1966, la Régie accepte de puiser dans ses avoirs pour apporter 2,5 millions de dinars nécessaires à l’augmentation du capital de Renault-Algérie. Cette opération renforce les actifs de cette filiale, consolide son bilan au point de pouvoir solliciter et surtout obtenir des crédits auprès de la Banque centrale d’Algérie. Pourtant, d’étranges rumeurs circulent. Il se dit que Renault serait moins défendu par le ministère de l’Agriculture que par son homologue de l’Industrie. « Fiat serait sur le point de répondre à un appel d’offre pour les tracteurs agricoles.

Est-ce le début d’un changement ? Les rapports avec les Algériens sont bons, explique Dreyfus, mais il ne se passe pas un jour sans que l’arrivée de Fiat, Volkswagen ou Simca soit annoncée. Tous essaient de persuader les Algériens que la Régie a un monopole abusif ». La situation est d’autant plus inquiétante que l’État algérien renonce maintenant à entrer dans le capital de Renault-Algérie, une petite participation restant pour Renault un moyen de sécuriser l’avenir de sa filiale. Inquiète, la Régie suggère au ministère algérien de l’Industrie d’augmenter les pièces faites dans le pays, donc d’accroître l’intégration locale. Mais Renault et l’État algérien se renvoient la balle, toujours pour éviter de financer cette évolution. Au fil des négociations, les différences d’appréciation émergent. Des différences structurelles et historiques. La régie Renault n’a cessé de voir Maison Carrée dans le prisme de l’ancien directeur Pierre Lefaucheux : « une usine pour un peuple ». Les Algériens, au contraire, considèrent le site d’El Harrach comme un vestige du Plan de Constantine. « Et pour les Algériens, ajoute Dreyfus, le montage en CKD est le signe même de l’asservissement et du colonialisme ». En 1969, le contrat entre Renault et l’Algérie est renouvelé dans un contexte de vives tensions. La suspension par Paris des achats de vins algériens a entraîné un boycott des marchandises françaises. Ce coup de frein aux relations commerciales fait craindre le pire. Mais peut-on souffler le chaud et le froid sur le premier secteur industriel algérien hors hydrocarbures, sur une activité essentielle au pays avec 7 600 voitures, 3 200 utilitaires et 360 tracteurs produits par an ? Reste que les autorités critiquent ouvertement l’engagement de la Régie dans la SOMACA, une filiale de montage au Maroc (1966). Cette usine, annoncent les représentants des ministères algériens, « c’est la seconde ligne qui ne sera pas installée à Alger ». Dans ce climat tendu, la presse laisse entendre l’arrivée imminente de Fiat qui serait autorisé à construire une usine près de Constantine. Fiat est tellement courtisé qu’il se prend à rêver, demandant comme condition d’entrée la reprise de l’usine de Maison Carrée !



En juin 1970, Renault tente encore de négocier, et propose de soutenir le développement global du secteur automobile. La Régie accepte en effet d’investir 700 millions de francs sur trois ans pour accélérer l’industrialisation de l’Algérie. Mais le projet reste fragile, car « les Algériens doivent pour cela obtenir des crédits à moyen terme et pas trop chers de la part du gouvernement français ». Il s’agit de construire une seconde usine très intégrée près d’Oran, capable de monter 25 000 R6 par an, puis le double d’ici cinq ans. En présence du président algérien Houari Boumediène, un accord est signé à Alger, le 8 juillet 1970, par Pierre Dreyfus et Daoud Akrouf, directeur général de la SONACOME. Aux dires des émissaires français qui négocient pied à pied avec leurs collègues algériens, « Nous avons été suffoqués de voir les négociations de la Régie aboutir ». Pourtant deux événements empêchent d’afficher un vrai optimisme.


Du désaccord à la rupture (1970-1971)

Au printemps 1970, les ministères algériens annoncent leur souhait de déménager le site de Maison Carrée et d’utiliser les installations en place pour y monter des réfrigérateurs. Dans un souci de restructuration de l’industrie métallurgique, l’usine d’Alger est jugée trop éloignée d’une sidérurgie concentrée autour d’Annaba. Mais alors, pourquoi signer l’installation d’une usine à Oran ? On s’interroge sur la logique géographique, mais aussi sur le financement puisque le partenariat dépend du ministère des Finances français. Seconde ombre au tableau : les propos tenus par le directeur des douanes. Celui-ci réclame à Renault des droits d’importation et des arriérés. Il faut négocier au plus haut niveau. Pierre Dreyfus analyse la confusion en ces termes : « Nous avons demandé au directeur des Douanes s’il se moquait de nous. On peut penser que les Algériens traitent avec Volkswagen, et souhaitent confisquer notre usine dont la valeur est celle des sommes dont nous serions redevables. » Informé, le Quai d’Orsay s’inquiète : le pétrole, l’agroalimentaire, les produits miniers et maintenant l’automobile, les relations bilatérales avec l’Algérie n’ont jamais été aussi tendues. Pour plus d’efficacité, il décide en septembre 1970 de lier tous les problèmes franco-algériens afin de faire une négociation globale. C’est une redéfinition de l’économie algérienne. Dépossédé de tout pouvoir de discussion, Renault devient spectateur de son sort. Tout passe par le bureau de Xavier Ortoli, ministre français de l’Industrie, qui assiste impuissant à l’escalade. Pierre Dreyfus exhorte le ministre de lui laisser envoyer un télégramme à Alger pour apaiser les tensions. « Nous avons discuté jour après jour sur l’envoi de ce télégramme et finalement le ministre n’a rien fait. Nous pouvons apprendre d’un moment à l’autre que l’usine est confisquée. » Le 2 octobre 1970, le ministère algérien de l’Industrie et de l’Énergie suspend les importations de pièces Renault. Comme il est impossible d’arrêter brutalement l’envoi des caisses CKD, celles-ci s’entassent dans le port d’Alger, non dédouanées. Situation étrange : alors que les pièces de voitures rouillent dans leurs caisses, la CARAL épuise ses stocks et voit sa production passer de 80 voitures par jour à seulement trois exemplaires. Le dernier coup de théâtre intervient le 10 janvier 1971, avec la levée de la suspension des importations ! L’usine envisage de repartir. Mais trois jours plus tard, le ministère algérien des Finances réclame à la CARAL le paiement des droits de douane sur toutes les pièces importées depuis 1963, soit 79 millions de dinars. « En réclamant une somme égale à la valeur de l’usine, les Algériens se préparent à la confiscation ». Cette somme est impossible à répercuter sur les prix de vente. Ceux-ci sont d’ailleurs bloqués, et la R4 est vendue 10 000 dinars, sans marge, logique d’une usine qui n’a jamais été conçue dans une volonté de profits. Mais la tension continue à monter. Le ministère des douanes retire à Renault-Algérie l’autorisation de transférer les fonds pour régler ses dettes extérieures, soit près de 45 millions de dinars. Plus de pièces de montage et plus de pièces d’après-vente. Le 20 février, la décision est prise : « Nous n’envoyons plus rien, car nous ne sommes plus payés... et les Douanes nous demandent cinq ans d’arriérés, soit 90 millions de francs. Nous ne comprenons pas. Il a toujours été convenu, sans malheureusement que ce soit écrit, que nous ne paierions pas de droit de douane, et c’est ainsi que tous les prix de vente ont été fixés ». Renault tente encore de faire céder le gouvernement en invoquant le sort des 900 ouvriers. Rien n’y fait. Le 9 avril 1971, alors que Renault ferme l’usine et licencie son personnel, le gouvernement annonce « la reconversion du site en vue d’une meilleure utilisation ».


Le dénouement

Renault exclu d’Algérie : « La fermeture de Renault-Algérie ne pose aucun problème, déclare le ministère algérien de l’Industrie et de l’Énergie. Le reclassement des 900 employés commencera dès la semaine prochaine et les acomptes versés pour achats de véhicules seront remboursés ». La régie Renault estime payer les conséquences du contentieux franco-algérien sur le pétrole. Si l’activité de la CARAL est bien arrêtée, rien n’est résolu pour une usine qui ne peut travailler sans Renault. La SONACOME tente de sauver les apparences : pour calmer les clients déçus, elle annonce « s’apprêter à lancer un appel d’offres international pour l’achat d’un premier contingent de 4 000 voitures de tourisme ». Mais ce n’est pas l’importation de voitures qui réglera l’avenir de l’usine. Privée de pièces pour les modèles à monter, la nouvelle société algérienne tente d’acquérir le nécessaire auprès de la FASA (Espagne) et de Dacia (Roumanie). Orsi les premiers ne cèdent sur rien, les seconds acceptent le marché. Les R12 algériennes deviennent des clones de la Dacia 1200, mais à des prix supérieurs. Les relations entre Renault et l’Algérie sont au plus bas : « Nous ne nous parlons pas, nous ne nous connaissons pas, mais les Algérien sont quand même commandé 2 000 Dacia. Les Roumains nous ont versé une commission ». Les autorités algériennes prennent contact avec les services commerciaux d’ambassades des pays occidentaux et du bloc de l’Est pour rechercher des fournisseurs. Cerise sur le gâteau, Alger précise que« la fermeture de l’usine de Maison Carrée n’aura aucune répercussion sur les projets d’investissement à Oran, inscrits dans l’accord signé en juillet 1970 entre Renault et la SONACOME ». Le départ d’Algérie se solde pour Renault par 38 millions de francs de créances non payées, 11 millions de capital non amorti, en plus de la perte d’un marché annuel de 15 000 voitures. Le 13 juillet 1972, Pierre Dreyfus se rend à Alger. Alors que la presse l’entretient de la suspension de l’accord sur l’usine d’Oran, Pierre Dreyfus ne dit rien, pas même que ce retrait vient d’un commun accord. De son côté, El Moudjahid évoque le « non-respect par la partie française des engagements pris pour le financement du projet ». Sur le tarmac d’Alger, Dreyfus aurait pu croiser MM. Leiding, président de Volkswagen, et Léonard, vice-président de General Motors, tant leurs voyages ont été rapprochés. Reçu par le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Belaïd Abdeslam, puis le secrétaire général du ministère algérien des Finances, Mahmour Aoufi, Dreyfus vient éteindre l’incendie. Le communiqué est laconique : « Un accord réglant définitivement le conflit opposant depuis deux ans l’administration fiscale algérienne à la régie Renault a été signé le 13 juillet à Alger ».


En 1970 Renault couvre alors 80 % du marché de voitures particulières dans le pays. En 1969, 11 290 voitures ont été produites.



Cependant en 1975, l'Algérie qui cherche de nouvelles options pour relancer l'économie du pays, prend attache une nouvelle fois avec Renault et d'autres marques automobiles tel que Mercedes, VW, Simca, Peugeot et Citroën. Cette fois si l'Algérie réalise un cahier des charges exigent un taux d'intégration de 60% minimum ce qui n'emballa pas les marques automobiles qui trouve cela trop contraignant et des coûts de développement élevés qui rendent le coût de revient trop élevé pour rendre la production rentable. Vous connaissez la suite, rien se fera jusqu'en novembre 2014 avec l'ouverture de la nouvelle usine de montage SKD (Semi Knock Down) de Renault Algérie Production à Oued Tlelat d'Oran.

C'est le début d'une nouvelle histoire.




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